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LA FORMATION DE LA DOCTRINE PÉDAGOGIQUE DE L'ÉGLISE.

 Les écoles épiscopales

Le point de départ est l'œuvre de Saint Augustin (354-430), qui préconisait des écoles épiscopales pour la formation des prêtres, fondées sur les arts libéraux romains (il avait été professeur de rhétorique) mais revus et corrigés en fonction de cette finalité religieuse. Il créa même une sorte de séminaire où les futurs prêtres vivaient en communauté. Tous les éléments conservés des sept arts devaient être organisés et interprétés symboliquement ou allégoriquement pour déboucher sur l'enseignement de la foi et de l'éthique chrétiennes. Après quoi, commençait l'étude de l'Écriture Sainte.

Les écoles des couvents.

Dans la ligne idéologique de Saint Augustin, les couvents développèrent une formation des moines et religieuses et surtout des jeunes recrues souvent encore enfants, (pueri oblati). La population monacale augmenta considérablement en liaison avec l'insécurité économique et la conception augustinienne du lien entre le péché d'une part, le corps et la vie terrestre et donc la connaissance du monde physique et humain, d'autre part, ce qui conduisait à la fuite de la vie réelle vers les couvents. Il faut tenir compte aussi de la croyance que la fin du monde était proche [1].

C'est Saint Benoît de Murcie (480-547) qui fixe la norme de cette formation. Les religieux devaient consacrer une ou plusieurs heures suivant les jours à la lecture et méditation des textes sacrés. Ils devaient donc savoir lire (et éventuellement écrire), et comprendre le latin, avoir quelques connaissances générales pour pouvoir comprendre les textes et devaient étudier les psaumes et le chant liturgique. Ces écoles claustrales eurent un certain succès et si elles ont sauvé l'Eglise du déclin spirituel, elles ont condamné l'éducation séculière, et retardé le développement des écoles et du savoir.

Le travail des érudits.

En application des idées augustiniennes, des érudits fournirent aux écoles cléricales la matière d'enseignement, empruntée à l'Antiquité mais "triée et purifiée" selon la vision et la finalité chrétienne.

On utilisa des manuels anciens comme le De institutione oratoria de Quintilien [2] pour la rhétorique, l'Ars Grammatica de Donat [3] pour le latin élémentaire et pour le degré supérieur : l'Institutio Grammatica de Priscien [4] .

Mais pour les autres matières d'enseignement et pour la philosophie en particulier, il fallait en refondre complètement le contenu. Parmi les érudits dont les œuvres servirent pour ce travail de compilation et d'interprétation, citons les plus utilisés dans les écoles jusqu'au XVIe siècle : Boèce (480-524 environ) [5], traduisit en latin la plupart des traités de logique d'Aristote, mais seul son De interpretatione fut utilisé dans les écoles. Sa traduction des Catégories de Porphyre [6] influença énormément la pensée médiévale. Cassiodore (468-562) [7] écrivit l'Institution des lettres humaines, un cours complet sur les sept arts libéraux, et des manuels élémentaires pour chacun d'eux. Il contient un résumé des connaissances nécessaires à la formation théologique dans l'optique de Saint Augustin.

Ce sont les moines bénédictins qui réalisèrent et diffusèrent ce programme d'enseignement. Ce sont eux, aussi qui comme le faisait faire déjà Cassiodore, copièrent les manuscrits anciens et sauvèrent les principales œuvres de l'antiquité, qui resteront inconnues du Moyen Âge parce qu'elles ne correspondaient pas à ses besoins culturels et à son idéologie, mais seront redécouvertes plus tard par les humanistes.

Enfin, Isidore de Séville, (560-636) rédigea une sorte d'encyclopédie en vingt livres, les Etymologies. Elles contiennent une masse considérable de citations prises (sans référence) dans toutes les œuvres de l'antiquité et, (dans une perspective chrétienne), tout ce qu'il fallait savoir en rhétorique, droit, théologie, étymologie, histoire naturelle, arts plastiques, agriculture et guerre.

Les moines irlandais et anglo-saxons.

Les premières écoles monastiques irlandaises apparurent au VIe siècle. Moins influencé par Rome, leur programme était plus vaste, comprenait les classiques latins et l'étude du grec. Elles accueillaient des laïcs et, très vite, dès le milieu du siècle, essaimèrent sur le continent. Il y eut deux vagues missionnaires principales en Europe, vers 600 puis vers 800. Ce sont eux qui ont réintroduit et sauvé la connaissance du grec en Occident.

En Angleterre, la première école cathédrale fut fondée à Canterbury en 669, puis les écoles claustrales se multiplièrent sur le modèle irlandais. C'est l'une d'elles (Yarrow), qui forma le premier grand théologien, historien et éducateur anglo-saxon : Bède le Vénérable, (672-735) [8]. Sur le modèle d'Isidore de Séville dont il s'inspire, il composa de nombreux manuels sur les différents arts libéraux, qui furent utilisés pendant des siècles dans toute l'Europe. C'est également lui qui dans son De ratione temporum, (manuel sur le calendrier) introduisit notre actuelle chronologie partant de la naissance du Christ et non plus de la création du monde. Et c'est dans l'école cathédrale d'York que fut formé Alcuin qui devait devenir le responsable de la politique scolaire de Charlemagne.

Signalons enfin le haut niveau atteint par les écoles des cloîtres féminins, qui exportèrent sur le continent, cette première forme d'éducation féminine.

Les nones et moines anglo-saxons continuèrent en Europe, le travail accompli par les moines irlandais et certains comme Boniface [9] et Alcuin appartiennent à la Renaissance carolingienne

 

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[1] Au XIe siècle on estime qu'il y avait plus d'un million de moines et de nones dans la chrétienté.

[2] Rhéteur latin du 1er siècle avant J-C, son ouvrage traite de la formation de l'orateur.

[3 Aelius Donatus : grammairien latin du IVe siècle après J-C. Son Ars Grammatica et ses autres œuvres furent (avec les Saintes Ecritures) les premiers livres imprimés. Il y en eut un nombre prodigieux d'éditions. Ce manuel de grammaire latine, rédigé sous forme de questions et réponses devait être appris par cœur par les élèves. Le mot donat était devenu un nom commun pour désigner un manuel de rudiments même s'il ne s'agissait pas de latin, par exemple, il existe un Donat de la religion chrétienne.

[4] Priscianus, grammairien latin qui enseignait le latin à Constantinople au début du VIe siècle après J-C. Son ouvrage en dix-huit livres, Institutio Grammatica est le traité de grammaire le plus complet que nous ait laissé l'antiquité. Il servit même à la rédaction des premières grammaires latines modernes. Il a laissé d'autres œuvres grammaticales ou littéraires.

[5] Boèce,(Anicius Manlius Torquatus Severinus), homme d'état, philosophe et poète, fut attaché à la personne du roi goth Théodoric, il fut consul et prince du Sénat à Rome en 510 et exerça de nombreuses fonctions. Tombé en disgrâce, il fut exécuté à Pavie. Ses œuvres développent les idées d'Aristote et de Platon, Il a écrit des traités sur les sept arts qui nous donnent une image fidèle de la pensée grecque. Dans sa Consolation philosophique (livre V), il pose le problème de la prescience divine et de la liberté humaine, sujet de disputes jusqu'au Jansénisme.

[6] De son nom véritable : Malchus, nommé Porphyre par son maître Longin, philosophe néo-platonicien (232-304), disciple d'Origène, d'Apollonius et de Plotin. Il écrivit de nombreux ouvrages sur Plotin, Platon et Pythagore. Dans son Introduction aux catégories connu par la traduction et les commentaires de Boèce, il pose le problème des universaux qui devait être le sujet de violentes controverses pendant tout le Moyen Âge.

[7] Cassiodore (Magnus Aurelius) eut une carrière semblable à celle de Boèce, mais pour éviter son sort final, se retira en Calabre à Scyllacium, dans une sorte d'académie monastique libre qu'il avait fondée et s'y consacra à l'étude. Il faisait multiplier les copies de ses œuvres et des ouvrages anciens qu'il possédait dans sa bibliothèque qui était la plus belle de son temps.

[8] Bède le Vénérable, son ouvrage le plus important est son Histoire Ecclésiastique en cinq livres commençant en 60 avant J-C et se terminant en 731, il a aussi écrit des Commentaires sur l'Ecriture Sainte, un Manuel de dialectique, un traité : De sex aetatibus mundi, et un Martyrologue.

[9] Evangélisateur de l'Allemagne, il s'appelait Winfrid et prit le nom de Bonifacius, c'est lui qui sacra Pépin, roi des Francs en 752. Il laissa des œuvres littéraires importantes.