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LES COLLÈGES DU XIIIe au XVIe SIÈCLE.

 

Les premiers collèges ont dû apparaître au plus tôt au XIIIe ou au début du XIVe siècle. Ils ne furent que des petites maisons de charité où quelques écoliers pauvres d'une même ville, d'un même diocèse, d'une même province, trouvaient le gîte et la nourriture, jusqu'à ce qu'ils eussent obtenu leurs grades [1] . Ceux qui étaient admis à jouir de ce bienfait s'appelaient boursiers [2].

À cette époque le nombre des collégiens était très faible, ils formaient une fraction imperceptible du peuple universitaire [3]. Les écoliers, d'ordinaire, vivaient chez leurs parents. Dans les villes un peu plus importantes, les écoliers venant d'ailleurs avaient des situations très variées, les uns livrés à eux-mêmes, les autres associés par chambrées sous des chefs de leur choix, d'autres enfin tenus en pension par les maîtres qui les instruisaient [4. Les seuls cours publics étaient ceux de philosophie. Jusqu'à ce qu'on fût en état d'y être admis, on allait apprendre chez les professeurs [5].

Au collège, en principe, il n'y avait pas de cours, Mais à la fin du XIVe siècle, l'exercice des classes fut institué dans quelques collèges avec un succès qui amena presque tous les autres à les imiter. Des professeurs de latin donnèrent à heure fixe des leçons, où purent assister les écoliers du dehors. Bientôt on reçut à demeure dans les collèges, sous le même toit et à la même table que les boursiers, ceux de ces écoliers qui pouvaient payer pension [6].

Au cours du XIVe siècle la population des collèges s'accrut au point que l'on vit s'établir sous le nom de pédagogies [7], des maisons qui étaient des sortes de pensionnats payants dont les pensionnaires suivaient les cours du collège voisin. Par exemple, Geoffroi Lenormant qui dirigeait la section de grammaire au collège de Navarre à Paris et son frère, Jean, qui en était le principal et le régent des artiens, c'est-à-dire le directeur de la section de philosophie, reçurent tant d'élèves que ne pouvant les loger tous à Navarre, ils furent obligés de convertir en pédagogies cinq ou six maisons contiguës. Cette annexe devait être à leur charge, mais ils obtinrent la permission d'amener leurs élèves au réfectoire aussi bien qu'aux classes du collège. On leur accorda même de percer une porte pour introduire les enfants sans avoir à les faire passer par la rue [8].

Vers 1454, ce Collège de Navarre, le plus considérable de l'Université, contenait soixante-dix boursiers, dont vingt se livraient à l'étude de la théologie. Ceux-ci formaient la première division de l'établissement. C'étaient des hommes mûrs, presque tous prêtres et mêmes bénéficiers [9].

Notons que l'usage voulait que les collèges portassent le nom soit de leur fondateur, soit celui du pays dont ils recevaient les boursiers. Le Collège Sainte-Barbe fondé en 1460, fut le premier à porter le nom d'un saint (une sainte en l'occurrence) et à n'avoir aucune dotation, ses ressources devant provenir uniquement des pensions payées par les élèves [10].

 

UN EXEMPLE NIVERNAIS : LE COLLÈGE DE HUBANT ou de l'AVE-MARIA à PARIS

 

Voici un exemple caractéristique de ces collèges, le Collège de Hubant ou de l'AVE-MARIA fondé au début du XIVe siècle dans l'esprit de ces "maisons de charité" [11].

Le fondateur en fut un homme d'origine populaire, Jean né à Hubant (hameau de la commune de Grenois près de Brinon-sur-Beuvron dans la région de Varzy. D'où son appellation habituelle de Jean de Hubant). Il put faire des études grâce à une bourse et devint conseiller au Parlement de Paris [12]. Devenu relativement riche, très pieux et voulant en quelque sorte faire partager à ses concitoyens la chance qu'il avait eu de faire des études malgré la pauvreté de ses parents, il fonda en 1336 (ou 1339) un Collège, dans l'Enclos Sainte-Geneviève à Paris [13]. Les bâtiments occupaient l'emplacement actuel des immeubles portant les numéros 45 et 47 Rue de-la-Montagne-Sainte-Geneviève. Lui-même mourut en 1350 et fut enseveli dans la chapelle du Collège.

Le Collège eut une vie chaotique, tomba plusieurs fois en décadence, fut finalement annexé au Collège Louis-le-Grand en 1763, puis comme pour tous les Collèges, ses biens furent nationalisés et vendus sous la Révolution.

Ses statuts définitifs, (ils furent plusieurs fois remaniés) datent de 1346 et spécifient que le Maître, le Chapelain et la plupart des boursiers devaient être recrutés dans la province du Nivernois, à Hubant ou dans les paroisses circonvoisines.

Au départ, en 1336, il devait héberger 1 maître, 1 chapelain et 6 pauvres écoliers. En 1339, il fut prévu d'y ajouter 2 boursiers choisis par l'Abbé de Sainte-Geneviève et originaires du diocèse de Sens et en 1346, 6 bénéficiaires, boursiers surnuméraires n'ayant pas les mêmes avantages que les autres, comme on le verra plus loin.

Ces statuts prévoient que le Maître (magister, primarius ou principalis) ne doit pas faire de cours mais vivre jour et nuit avec ses élèves, les accompagner dans les écoles du quartier latin pour y suivre les leçons et au retour, leur servir de répétiteur et les faire travailler. Il doit aussi les accompagner à tous les offices religieux.

Le Chapelain, en plus de ses fonctions religieuses, a en charge la gestion financière et matérielle du Collège. Il doit suppléer le Maître et le remplacer en cas d'absence. Une sentence du Présidial de Saint-Pierre le Moutier, en date du 15 juillet 1671 nous donne le nom de Messire Charles Geoffroy, maître ès-arts, prêtre, chapelain du collège de l'Ave Maria de la ville de Paris [14].

Ces deux "responsables" doivent aussi se surveiller l'un, l'autre.

Il est prévu un serviteur, en l'occurrence, une vieille femme.

Le Maître et le Chapelain ont interdiction de recevoir des élèves, le moindre salaire ou la moindre gratification. De même, ils ne peuvent recevoir au Collège, en plus des boursiers, des pensionnaires payants.

Le "Conseil d'Administration" chargé de contrôler la bonne marche du Collège, est composé de l'Abbé de Sainte-Geneviève, de diverses autorités et même du doyen de la Sainte-Chapelle.

Les six boursiers devaient être nés de légitime mariage, et issus de parents libres (les serfs n'avaient pas le droit de devenir clercs à moins d'être affranchis).

Ils devaient être âgés de huit à neuf ans au moins, et seize ans au plus et originaires de Hubant ou des paroisses alentour à moins de cinq lieues de la Tour de Hubant. Il ne devait pas y en avoir deux de la même famille ou du même village. Faute de candidats suffisants, le recrutement pouvait être étendu aux diocèses de Nevers, d'Auxerre ou de Paris ou autres, dépendant de l'Archevêché de Sens. Notons que si Hubant faisait partie du diocèse de Nevers, des paroisses voisines appartenaient à d'autres diocèses comme Varzy (diocèse d'Auxerre) et Corbigny (diocèse d'Autun).

C'est l'Abbé ou Prieur de Saint-Martin de Nevers (dont dépendaient plusieurs cures de la région de Hubant) qui avait le droit de présenter des candidats boursiers ou à défaut, les curés des paroisses intéressées. Chaque année, le chapelain se rendait chez le Prieur de Saint-Martin ou les curés qui avaient fait des propositions, et ramenait les candidats à Paris. Leur admission était prononcée par l'Abbé de Sainte-Geneviève qui ne pouvait les refuser qu'en cas de difformité physique ou s'ils avaient plus de seize ans.

De toutes manières, les boursiers n'étaient pas conservés au Collège au-delà de la Saint-Jean d'été suivant leur seizième anniversaire. À cet âge, selon le fondateur, finissait le temps d'innocence et commençait celui du mal et on ne pouvait les garder dans un collège consacré à la Vierge. Mais le Collège les aidait à poursuivre leurs études à l'Université.

De même si un enfant paraissait incapable de profiter des études "libérales", on tâchait de lui faire apprendre un métier avant de lui laisser quitter le Collège.

Le programme des études était divisé en trois classes, mais un enfant pouvait passer plusieurs années dans la même classe. Il ne pouvait être admis dans la classe supérieure avant d'avoir appris tout le programme.

À titre d'exemple voici le contenu de la Première Classe : apprendre (par cœur) les antiennes, oraisons, répons et prières de la Vierge et du Saint Patron personnel ; savoir lire les litanies, les sept psaumes, les heures de la Vierge, les vigiles des morts etc. ; apprendre à écrire et à chanter (au moins un mode de plain-chant) ; avoir des connaissances grammaticales (latines) suffisantes pour pouvoir commencer à 12 ans au plus tard, les études de logique.

Le fondateur avait donné au Collège tous les livres qu'il possédait et qui pouvaient être utiles aux enfants, ce qui était un don précieux étant donné la rareté et la cherté des livres. La bibliothèque contenait une cinquantaine de volumes [15] en plus des missels et autres livres de la chapelle. C'étaient des livres de grammaire, logique, dialectique, gloses, 1 de physique, 1 de métaphysique et 1 de savoir-vivre.

Le règlement du Collège précise que ces volumes doivent, pour la plupart (les plus usuels), être attachés par des chaînes de fer sur les pupitres de la salle d'étude. Le "semainier" doit faire un rapport chaque samedi sur leur état. En cas de déprédation, l'auteur sera puni du fouet. S'il reste inconnu, tous les élèves seront fouettés. De toutes manières le volume devra être remplacé aux frais des parents. Notons que c'est le seul cas de châtiment corporel prévu par ce règlement. Ceci nous donne une juste idée de la valeur des livres.

Notons quelques détails de la vie matérielle.

Les "bénéficiaires", nous l'avons vu, ont moins d'avantages que les boursiers, ils mangent avant et à part des boursiers, et leur ration de nourriture et de vin est moindre, ils reçoivent des vêtements usagés.

Nourriture : le matin et le soir, un peu de pain, Aux deux principaux repas, pain à volonté, une soupe, de la viande et du vin.

La viande, depuis la Saint-Jean d'été jusqu'avant le Carnaval, période où la viande est abondante et bon marché, consiste en un morceau de mouton ou de porc de bonne qualité pour quatre ou six rationnaires, le reste de l'année c'est du lard ou des salaisons, trois fois par semaine, et du fromage les autres jours. Le Maître et le Chapelain ont droit à une ration double.

Il est prévu aux deux repas, une pinte de vin mélangé d'eau pour trois ou quatre enfants, une pinte pour le Maître et le Chapelain et une chopine pour le serviteur.

Les jours de fête on servira des viandes rôties.

Vêtements. Le collège en fournit une partie, à savoir : une longue robe brune à capuchon, portée sur une cotte, qui doivent être changées chaque semaine. Chaque boursier en reçoit une neuve chaque année à la Toussaint. Et, à Pâques il reçoit une supertunicale, robe plus légère pour l'été. Il reçoit aussi deux paires de souliers ou caligae, quatre de solutares (sortes de sandales comme en portent les moines), le Collège fournit aussi les couettes et les couvertures. Notons que les enfants couchent à deux dans un lit dont le chevet est surélevé Les familles doivent fournir des chemises blanches qui sont changées chaque samedi, des vêtements de dessous et notamment, pour l'hiver, le blanchet ou corset, les draps de lit ou linteamenta changés tous les quinze jours, les nappes et serviettes changées chaque semaine, il en faut deux, une pour la table et l'autre pour les mains.

Nous avons signalé que ce collège, peut-être à cause des précautions tatillonnes prises par le fondateur, certainement faute de ressources suffisantes, et par suite de l'incurie ou de la malhonnêteté de certains de ses Maîtres, périclita à plusieurs reprises. À une certaine époque, il n'accueillait plus que deux boursiers, encore étaient-ils parisiens. Les autres dispositions des statuts ne furent pas davantage respectées. Comme dans tous les collèges un enseignement dut y être organisé au quatorzième ou quinzième siècle, car nous voyons qu'après 1543, un humaniste célèbre, Ramus (Pierre de la Ramée)[16] y enseigna les mathématiques et la littérature.

Nota Bene Au début du XVIe siècle, dans certains textes et documents, par l'effet des réminiscences classiques, les collèges commencèrent à s'appeler des gymnases et les universités, des académies [17] . Ceci fut surtout vrai dans les pays protestants [18].

 

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[1] A ce propos voir le chapitre sur les idées pédagogiques au début du XVIIIe siècle pour le rappel que fait Rollin de cette finalité première des collèges.

[2] J.Quicherat Histoire de Sainte-Barbe, Collège, Communauté, Institution. Tome 1 p. 1/2.

[3] ibid

[4] ibid.

[5]ibid.

[6] id.p.2.

[7] id.p.2.

[8] id.p.6.

[9] ibid.

[10] id.p.9.

[11] Nous suivons ici : Baron R. Une fondation nivernaise à Paris, Le Collège de Hubant ou de l'Ave-Maria, AD, manuscrit 103, 73 p., daté du 2 avril 1974. Voir aussi Gabriel A. L. Student life in AVE_MARIA College. Medioeval Paris (History and Chartulary of the College) publié in Medioeval Studies n°XIV, The University of Notre-Dame, Indiana, 1955 et Abbé Lebeuf, Histoire de la Ville et du Diocèse de Paris

[12] Edouard Maugis Histoire du Parlement de Paris de l'avènement des Rois Valois à la mort d'Henri IV Paris 1916, 3 vol.

[13] Crevier Histoire de l'Université de Paris depuis ses origines jusqu'en 1600.

[14] Présidial de Saint-Pierre le Moutier, sentence en faveur de messire François Boizot, prêtre, qui est maintenu et gardé en possession et jouissance du prieuré-cure de Saint-Hilaire de Challement : AD série 1B 249 - 1671

[15] Pellequin (Melle) Elisabeth Bibliothèque de l'Ecole des Chartes Tome CVII (années 1957-48) p. 68 à 73.

[16] Voir plus loin, chapitre sur les Idées pédagogiques au XVIe siècle.

[17] Quicherat, op. cit. p.10. Voir à ce propos le chapitre concernant les idées pédagogiques au début du XVIe siècle

[18]  Voir le chapitre sur la Réforme et les Idées pédagogiques au XVIe siècle.